Les sanctions américaines ont un effet au-delà du territoire des États-Unis. Un assujetti français peut y être confronté sans y être juridiquement soumis.
La question n’est pas de s’y conformer ou pas, mais d’évaluer le risque opérationnel que ces sanctions peuvent créer dans le cadre du dispositif de conformité existant.
Ces constats ne relèvent pas du débat théorique.
Ils relèvent du champ de compétence des directions conformité et soulèvent, en pratique, des questions auxquelles nous allons répondre dans cet article.
1. Jusqu’où s’appliquent les sanctions américaines ?
Les sanctions émises par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) s’appliquent à tous les acteurs américains (sanctions primaires) et, dans certains cas, à des acteurs étrangers (sanctions secondaires) qui participent au contournement de ces mesures.
Leur portée extraterritoriale s’explique par la structure du système financier international :
les flux en dollars transitent par des correspondants bancaires américains, eux-mêmes soumis au droit OFAC.
Une transaction parfaitement légale en France peut donc être bloquée à l’étranger.
Ce que cela signifie pour votre entreprise
- Vous pouvez être exposé au régime OFAC si :
- un paiement transite en dollars ;
- le correspondant bancaire est établi aux États-Unis ;
- une contrepartie relève du droit américain (filiale, assureur, partenaire) ;
- un contrat vous impose l’application de listes étrangères.
👉 Dans ces situations, une opération peut être bloquée ou retardée par un acteur américain, sans qu’il existe d’obligation légale pour l’assujetti français.
2. Alerte OFAC : une situation typique
Lors d’un screening, il arrive qu’une correspondance apparaisse uniquement sur la liste OFAC.
Pour un assujetti français, cette alerte n’a aucune portée réglementaire directe, mais elle modifie le niveau et la nature du risque opérationnel, notamment en cas d’exposition au dollar ou à des contreparties américaines.
Si le flux est en dollars ou transite par une banque américaine, le correspondant bancaire américain de l’établissement peut bloquer ou refuser le paiement en application des règles OFAC, entraînant un gel ou un report des fonds.
Autrement dit : ce n’est pas la loi française qui agit, c’est le réseau financier international, soumis à des règles américaines via le dollar et les correspondants bancaires.
Comment traiter ce type d’alerte ?
Identifier le régime concerné : confirmer que l’alerte provient de la liste OFAC et non d’une liste française ou européenne (DGT, UE, ONU).
Qualifier le risque : opérationnel (blocage, gel, réputation) et non réglementaire.
Vérifier l’exposition : devise, correspondants, contreparties.
Tracer la décision : justification et preuve d’analyse dans le dossier.
👉 L’objectif n’est pas d’appliquer le droit américain, mais de gérer un risque de blocage au sein du dispositif français de conformité.
3. Les risques opérationnels et juridiques pour l’assujetti
Trois risques principaux sont identifiés :
- juridique, en cas d’application volontaire d’une mesure américaine contraire au règlement européen 2271/96, dit règlement de blocage ;
- opérationnel, en cas de blocage d’un flux ou de refus d’exécution d’une opération par un correspondant bancaire soumis aux règles OFAC ;
- commercial/réputationnel, en cas de rupture de relation sans base légale française.
Ces risques sont régulièrement observés chez nos clients.
Ils apparaissent lorsque les alertes OFAC ne sont pas comprises ou mal gérées.
Comment ces risques se traduisent dans la pratique
- Blocage de paiement par un correspondant américain, avec immobilisation des fonds plusieurs jours.
- Refus d’exécution d’un ordre ou d’une garantie en devises USD.
- Résiliation unilatérale d’un contrat de distribution ou de réassurance.
- Difficulté à justifier une décision de gel ou de refus en cas de contrôle ACPR.
👉 Ces situations résultent moins d’un manquement que d’un manque d’analyse préalable : cartographie des risques incomplète, clauses contractuelles non identifiées, ou procédure interne mal documentée.
4. La position des autorités françaises
Les autorités françaises, ACPR, AMF et TRACFIN, ne demandent pas aux assujettis d’intégrer les sanctions américaines dans leur dispositif.
En revanche, ces autorités attendent qu’un assujetti soit en mesure d’expliquer et de justifier ses choix :
- pourquoi certaines listes (comme l’OFAC) sont ou non prises en compte ;
- comment les alertes sont traitées ;
- sur quels critères les décisions sont fondées.
Cette exigence relève de la cohérence du dispositif de conformité :
l’assujetti doit pouvoir montrer que ses décisions découlent d’une analyse de risques interne, et non d’une contrainte externe.
Ce que les autorités attendent concrètement
• Une analyse de risques documentée : exposition réelle au dollar, aux contreparties, aux contrats.
• Des procédures écrites précisant le traitement des alertes OFAC.
• Une traçabilité des décisions de filtrage et de leur justification.
• Une cohérence entre la politique déclarée et les pratiques observées.👉 En cas de contrôle, l’ACPR ou la TRACFIN n’examinent pas la conformité au droit américain, mais la logique interne du dispositif et la qualité de sa justification.
5. La cartographie des risques : là est le bon niveau de décision
La décision d’intégrer ou non les sanctions américaines dans le dispositif de conformité ne se prend pas au moment de l’alerte, mais en amont, dans la cartographie des risques.
Cette analyse doit intégrer :
• la localisation de l’établissement et son exposition au dollar ;
• la nature du métier (banque, assurance, gestion, courtage) ;
• les produits et services concernés (flux internationaux, financement export, etc.) ;
• la répartition du risque avec le porteur de risques, le cas échéant ;
• et la qualité des données utilisées pour construire cette cartographie.
Dans certains cas, le recours à une liste étrangère, comme l’OFAC, peut résulter d’une obligation contractuelle. C’est notamment le cas lorsqu’un producteur, assureur ou partenaire impose, dans sa convention de distribution ou de délégation, l’application d’un périmètre de filtrage déterminé.
Cette contrainte doit être intégrée et justifiée dans la documentation du dispositif de conformité. La cartographie des risques permet d’évaluer l’exposition de l’établissement aux sanctions étrangères, en tenant compte de la nature des activités, des zones géographiques concernées, des devises utilisées, des partenariats contractuels et des sources de données exploitées.
Ce choix doit être formalisé, validé par la direction de la conformité, révisé régulièrement et documenté. C’est ce que l’ACPR examine lors d’un contrôle : un dispositif structuré, fondé sur une analyse préalable, et non une réaction ponctuelle.
Concrètement, cartographier c’est se prémunir :
• En identifiant les flux réellement exposés au dollar ou à des contreparties américaines.
• Recensant les clauses contractuelles imposant l’usage d’une liste étrangère.
• Déterminant le niveau de vigilance selon les zones d’activité et les partenaires.
• Précisant les sources de données utilisées pour construire et actualiser l’analyse.
• Formalisant ces choix, les faire valider par la direction conformité et les réviser régulièrement👉 Une cartographie claire et tenue à jour permet de justifier les décisions de filtrage et d’éviter les réactions ponctuelles au moment des alertes.
6. Comment gérer une alerte OFAC ?
Une alerte OFAC appelle une analyse proportionnée : selon la politique interne et la cartographie des risques de l’établissement, elle peut conduire à un examen approfondi ou à une vigilance renforcée lorsque le risque d’exécution, de blocage ou d’atteinte à la réputation est identifié.
- Identifier le régime concerné : confirmer que l’alerte provient de la liste OFAC et non d’une liste française ou européenne (DGT, UE, ONU). Vérifier la portée légale : pas de correspondance DGT, UE, ONU.
- Qualifier le risque : opérationnel ou réputationnel.
- Tracer la décision : justification et preuve d’analyse
Ce processus permet de documenter la décision et d’en tracer les justifications, conformément à l’analyse de risques définie par l’établissement.
Ce qu’une alerte OFAC ne doit pas devenir
• Un prétexte pour appliquer le droit américain sans base légale.
• Un motif de blocage systématique, sans analyse de contexte.
• Une décision non documentée ou non traçable.
• Une source d’incohérence entre politique déclarée et pratiques effectives.👉 Une alerte OFAC doit être traitée comme un signal de risque opérationnel, pas comme une injonction juridique.
7. Le rôle de BeCLM
BeCLM centralise les listes officielles de sanctions publiées par l’ONU, l’Union européenne, l’OFAC et la Direction générale du Trésor.
Nous mettons à disposition les listes officielles sans les modifier et précisons, pour chaque nom, le régime auquel il appartient. Les données sont synchronisées en temps réel avec les sources officielles, assurant la fiabilité et la traçabilité de chaque mise à jour.
Au-delà de la mise à disposition des données natives et de la puissance de calcul, BeCLM apporte un accompagnement métier complet : nos équipes aident les utilisateurs à paramétrer leur dispositif, à interpréter les résultats de filtrage, à documenter les décisions et à se préparer aux contrôles.
Concrètement, la plateforme et l’équipe BeCLM permettent :
- de cadrer le périmètre de filtrage, en fonction de la cartographie des risques, des zones d’activité, des flux en devises et des obligations contractuelles ;
- d’ajuster le paramétrage du filtrage pour en assurer la pertinence
- de s’appuyer sur la technologie Double Run et l’IA d’aide à la qualification afin de réduire la charge opérationnelle, tout en préservant la transparence et la capacité à justifier les choix techniques auprès des autorités de supervision ;
- de fournir la puissance de calcul indispensable pour traiter quotidiennement des bases de millions de personnes
- de constituer une piste d’audit complète, capable de restituer à tout moment les versions de listes, les paramètres actifs et les décisions associées ;
- de disposer des éléments nécessaires pour justifier, le cas échéant, les choix effectués auprès des autorités de supervision ou des partenaires, sur la base d’une documentation exhaustive du paramétrage et des traitements.
En cas de contrôle, BeCLM ne se limite pas à restituer la piste d’audit :
le support métier aide à formuler les réponses, à produire les extraits pertinents et à vérifier la cohérence entre la pratique et la documentation interne.
BeCLM agit donc à deux niveaux :
- comme infrastructure de données, assurant la fiabilité, la lisibilité des listes et la constance de leur mise à jour et de leur utilisation ;
- comme partenaire de conformité, capable d’appuyer les équipes sur la justification, la documentation et la traçabilité des décisions.
8. La liste OFAC : un risque à encadrer, pas une règle à suivre
Les sanctions américaines, bien qu’elles ne s’imposent pas directement en France, influencent considérablement le système financier mondial. Il est essentiel pour les entreprises de comprendre leur impact, d’évaluer leurs répercussions et de faire des choix judicieux en fonction de leur domaine d’activité, de leur localisation, de leurs produits, de leur marché, de leurs partenaires et de leurs risques.
BeCLM fournit les données et le cadre d’analyse indispensables pour que chaque alerte émise par l’OFAC soit traitée de manière proactive et intégrée dans une stratégie de conformité. L’entreprise doit rester vigilante et responsable de ses décisions concernant le filtrage et le traitement des alertes, tout en respectant le droit applicable et conformément à son dispositif de conformité
Nous sommes à ses côtés, pas à sa place.
9. Le cas BNP Paribas (2014) — Le précédent le plus connu de l’extraterritorialité américaine
Les faits : entre 2004 et 2012, BNP Paribas a reconnu avoir traité plus de 8,8 milliards $ de transactions en dollars pour des entités iraniennes, soudanaises et cubaines, en contournant les embargos américains (wire stripping).
Le Department of Justice a sanctionné la banque à hauteur de 8,8336 milliards $, assortie d’une probation de 5 ans et d’un renforcement du dispositif de conformité.
Les amendes parallèles de l’OFAC (963 M $) et du régulateur de New York NYDFS (2,24 Mds $) s’y ajoutent, ainsi qu’une suspension d’un an du clearing USD sur plusieurs lignes d’activité. La Réserve fédérale a prononcé une injonction (cease & desist) pour pratiques
« unsafe and unsound ».
Les enseignements :
- Le risque OFAC peut devenir opérationnel pour un établissement non américain dès qu’un flux transite par le système USD.
- Les autorités US ont imposé des mesures structurelles : suspension d’activités, éviction de dirigeants, nomination d’un « monitor ».
- Cette affaire illustre la nécessité d’une traçabilité complète des flux et des décisions de conformité, ainsi qu’une cartographie précise de l’exposition au dollar.
- Elle montre enfin que la non-soumission juridique n’exonère pas du risque économique et réputationnel.
Sources :
– U.S. Department of Justice – United States v. BNP Paribas S.A., Statement of Facts, 2014.
– U.S. Treasury (OFAC) – Enforcement Information for June 30, 2014.
– New York State Department of Financial Services (DFS Consent Order, 2014).
– Board of Governors of the Federal Reserve System – Order to Cease and Desist, 2014.
Pour mémoire : l’essentiel sur la liste OFAC
- Les sanctions américaines n’ont aucune portée juridique en France, mais leurs effets opérationnels sont réels, en particulier via les flux en dollars.
- Une alerte OFAC n’emporte pas d’obligation réglementaire directe pour un assujetti français, mais elle impose une analyse proportionnée du risque de blocage, de gel ou d’impact sur les relations bancaires, au regard du droit applicable et du dispositif interne de conformité.
- Appliquer une sanction étrangère sans base légale peut contrevenir au règlement de blocage (CE 2271/96), exposant l’assujetti à des sanctions administratives et à des recours civils, notamment en cas de rupture injustifiée de relation ou d’exécution d’une mesure non reconnue par le droit de l’Union européenne.
- La cartographie des risques permet d’évaluer l’exposition de l’établissement aux sanctions étrangères, selon les activités, les zones géographiques, les devises et les engagements contractuels.
- Certaines listes peuvent être imposées par contrat (par exemple lorsqu’un producteur ou un assureur exige l’usage de la liste OFAC).
- Les autorités françaises (ACPR, AMF, TRACFIN) exigent une cohérence et une traçabilité du dispositif, pas l’application du droit américain.
- Le rôle de l’assujetti est de garantir que chaque décision prise dans le cadre du filtrage est cohérente avec son dispositif interne et appuyée sur des éléments factuels, sans s’appuyer sur un cadre réglementaire étranger non applicable.
- BeCLM restitue les listes officielles (ONU, UE, OFAC, DGT) en temps réel, sans modification, et accompagne les équipes dans la mise en œuvre, la justification et la documentation du filtrage.
OFAC : les liens recommandés
1. Règlement de blocage de l’UE (Blocking Statute, 2271/96)
Texte officiel : Council Regulation (EC) No 2271/96 – neutraliser les effets extra-territoriaux de lois étrangères. EUR-Lex
Explication et contexte par la Commission européenne : extraterritorialité & statuts de blocage. Finance
2. Décision de la Cour de justice de l’UE & analyses juridiques
Analyse du Blocking Statute et des défis jurisprudentiels dans le contexte des sanctions US extraterritoriales. globalinvestigationsreview.com+1
Article de Mayer Brown sur un arrêt important de la CJUE relatif au Blocking Statute. Mayer Brown
3. Site du Trésor français / DG Trésor – sanctions économiques françaises
Le téléservice “Sanctions financières internationales” pour les autorisations de transaction (lié aux sanctions UE / nationales) TrésorPublic
4. Lignes directrices ACPR / TRACFIN
Lignes officielles sur les obligations de vigilance, les gels des avoirs, etc. ACPR
Le recueil des sanctions de l’ACPR (exemples concrets de sanctions prononcées) ACPR
Recommandations publiées par l’ACPR, orientation de supervision & vigilance ACPR
5. Articles spécialisés / analyses sectorielles
D’après l’analyse conduite par BeCLM sur 26 décisions de la Commission des sanctions de l’ACPR, plus de 80 % des griefs portent sur des manquements liés à la classification des risques, à la détection des PPE ou à la mise en œuvre du gel des avoirs (lire l’article complet dans notre livre blanc « KYC – De l’obligation à l’efficacité »)